Niépce correspondance et papiers
1126 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS Les personnes qui ont vu les dessins de M. Daguerre ne peuvent trouver de paroles pour en louer assez l’exactitude, la finesse, et l’harmonie. J’ai été plusieurs fois témoin de l’étonnement avec lequel nos plus grands peintres y admiraient la fidélité de distribution des ombres et de la lumière, s’y mêlant, s’y dégradant comme dans la nature même, avec une simplicité de moyens que l’on n’aurait jamais supposé suffire à leur représentation. L’un d’entre eux et des plus éminents, n’a pas craint de dire devant moi : «J’en ai plus appris en deux heures, sur mon art, en présence des tableaux de M. Daguerre, que je n’en avais appris pendant toute ma vie dans mon atelier.» Quelque remarquables que fussent ces productions, si la perfection du dessin en fai- sait le seul mérite, peut-être n’aurions-nous pas songé à en entretenir les lecteurs du Journal des Savants ; ou du moins ce ne serait pas l’auteur de cet article qui devrait en rendre compte. Mais le procédé par lequel on les obtient, quoique resté secret dans ses détails, est essentiellement fondé sur un effet chimique dont on a déjà plusieurs exemples ; et il est réalisé par un appareil d’optique connu, qu’il a toutefois fallu modifier pour l’adap- ter avec le plus d’avantage à ce but spécial. Il peut y avoir de l’intérêt à indiquer théori- quement la route que M. Daguerre a dû suivre, pour arriver de ces points de départ aux résultats qu’il a obtenus. On peut aussi être curieux de connaître les tentatives qui ont pré- cédé son succès, ou qui se faisaient simultanément pour arriver au même but, sans savoir qu’il l’eût déjà si complétement atteint. Enfin, il ne sera pas sans utilité de montrer les conséquences ultérieures auxquelles ces recherches conduisent ; et de faire voir qu’elles sont le commencement d’une chimie nouvelle, fondée sur une classe spéciale d’actions que l’on n’avait pas encore suffisamment étudiées, lesquelles influent indubitablement sur une multitude de fonctions des êtres organisés, si même elles n’en sont la cause efficace et déterminante. Toutes les personnes qui ont quelques notions de physique, ou quelque pratique des arts du dessin, connaissent l’appareil d’optique appelé chambre noire . Il se forme d’abord d’un miroir plan, et s’il se peut métallique, lequel, réfléchissant les rayons lumineux venus des objets extérieurs, les jette sur une lentille achromatique qui les concentre à son foyer. Chaque point radieux donne ainsi pour image un point brillant, teint des mêmes couleurs naturelles. Tous ces foyers sont reçus sur un tableau blanc placé derrière l’objectif, à la distance précise où ils se forment ; de manière que leur ensemble y compose une petite miniature, qui est l’image des objets d’autant plus nette et plus fidèle que l’objectif est plus parfait. Pour soustraire cette peinture au mélange de toute lumière étrangère, le tableau et l’objectif sont enfermés dans une boîte à parois opaques, couvertes intérieurement d’un enduit noir, comme la chambre intérieure de notre œil, disposition qui a donné son nom à tout l’appareil. L’observateur, ou le dessinateur, introduit dans cette chambre noire son buste enveloppé d’un rideau opaque ; de sorte qu’il peut, ou seulement contempler l’image formée, ou en fixer les détails en les suivant avec un crayon. Il pourrait même, en rem- plaçant les couleurs de cette image optique par des dissolutions de même teinte, obtenir un dessin colorié permanent ; ou encore y mettre seulement des ombres et des lumières à leur vraie place, avec les dégradations de ton qu’il y voit ; ce qui donnera un dessin, avec ou sans couleurs, d’autant plus fidèle que les nuances observées auront été reproduites plus exactement. Maintenant, l’invention de M. Daguerre consiste à supprimer tout ce travail d’art, en étendant sur le tableau une couche mince d’une substance impressionnable par la radia- tion réfractée, de manière à s’affecter le plus vivement dans les places où la lumière, est la 1833 1839 De l’été 1833 jusqu’à l’automne 1839
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