Niépce correspondance et papiers
N IEPCE 1131 les tons se dégradent avec les mêmes variations que dans la nature. Cela exige que la sub- stance sensible blanchisse ou se dissipe en chaque point du tableau, proportionnellement à l’intensité de la radiation qui l’affecte ; et que cette radiation suive elle-même exactement, ou presque exactement, les rapports d’intensité de la lumière qu’elle accompagne 1 . Il en est ainsi avec la substance de M. Daguerre ; et, comme il le dit lui-même, c’est le travail de la radiation qui produit les clairs dans ses dessins. Plus on la laisse agir, plus les détails se marquent délicatement par les différences de teintes qui les séparent. Si l’on arrête trop tôt l’action, ils sont moins détachés les uns des autres, et l’on obtient comme un dessin à la manière noire, plus ou moins ombré. Tout ce qui reste d’art consiste à modérer le temps de l’exposition au petit nombre de minutes qui convient le mieux pour le résultat qu’on veut obtenir. J’ai parlé d’arrêter l’action. Il faut en effet pouvoir le faire soudainement, comme pour toujours, afin que le dessin ne soit plus impressionnable par la radiation naturelle ou arti- ficielle, quand on voudra le regarder au jour ou à la lumière des lampes. Cette condition, M. Daguerre assure qu’il la remplit rigoureusement ; et l’expérience confirme son asser- tion, puisque ses épreuves, montrées par lui tant de fois, à tant de personnes, dans un cabi- net très-éclairé, où elles reçoivent une vive lumière, et accidentellement celle du soleil même, n’ont rien perdu de leur netteté, de leur fermeté, de leur harmonie 2 . Nous n’avons rien dit encore du choix du tableau sur lequel l’enduit sensible devra être appliqué pour recevoir la radiation et former l’empreinte. Ce choix est aussi d’une extrême importance ; car la matière dont le tableau sera fait, agissant par contact sur la substance impressionnable, devra généralement modifier l’effet que la radiation exerce sur elle ; comme aussi le tableau, selon sa nature, pourra être modifié par la substance influen- 1. Note de Biot : « La proportionnalité approchée dont il s’agit n’est établie, dans les expériences de M. Daguerre, que pour les systèmes de radiation directs ou réfléchis qui émanent primitivement ou secon- dairement de corps en ignition. Dans les systèmes ainsi naturellement formés, il y a un certain ensemble de rayons qui sont efficaces sur la substance de M. Daguerre, et dont le spectre particulier différerait du spectre lumineux, s’ils étaient réfractés simultanément dans le même prisme ; de sorte que, lorsqu’ils tra- versent ainsi un même objectif, leur foyer principal est différent. Maintenant, si ces rayons efficaces étaient en proportions sensiblement différentes dans les cônes lumineux émis par les points matériels qui nous paraissent de diverse couleur, l’intensité des impressions qu’ils produiraient dans les épreuves de M. Daguerre ne répondrait pas assez approximativement aux dégradations optiques des ombres et des clairs, tels qu’ils nous paraissent dans les objets naturels. Donc, inversement, cette correspondance ayant lieu dans les dessins, avec une approximation qui n’y laisse apercevoir aucun défaut sensible, on en peut conclure que la proportionnalité dont il s’agit a lieu, avec une approximation du même ordre, dans les sys- tèmes de radiations émanées des corps naturels, soit qu’elles agissent sur la substance de M. Daguerre ou sur nos yeux. Mais cet accord n’aurait plus lieu sans doute si, au lieu de radiations naturelles, on composait des systèmes artificiels de radiations où les proportions des éléments seraient différentes. Car, si l’on y lais- sait subsister par exemple certaines parties seulement des radiations lumineuses et tout l’ensemble des radiations efficaces, celles-ci ne produiraient évidemment plus, sur la substance de M. Daguerre, une dégradation de tons correspondante à celle du système coloré, artificiel, que l’on aurait fabriqué pour le présenter à l’œil. Dans les systèmes de radiations naturelles mêmes, la proportionnalité entre la somme des éléments lumineux qu’ils contiennent et la somme des éléments efficaces pour la substance de M. Daguerre, n’a lieu qu’approximativement ; car, d’après une remarque qu’il a faite, la dégradation des tons produite par les objets colorés est tant soit peu différente de leur dégradation apparente, lorsqu’ils sont proches. Mais la différence devient insensible quand l’éloignement des objets est devenu plus consi- dérable, parce que la radiation propre de l’air, qui se mêle à celle de leurs teintes propres, rétablit la concor- dance à un degré suffisant pour l’œil ». 2. Note de Biot : « M. Daguerre a placé une de ses épreuves, dans une exposition au midi, où elle recevait constamment la radiation solaire, quand le soleil brillait. Elle a été soumise à cette action pendant trois ans, et n’en a été nullement altérée ». 610 1833 1839
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