Niépce correspondance et papiers
1134 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS Dès que l’on connut les changements de teinte éprouvés par le nitrate et le chlorure d’argent, lorsqu’ils sont exposés aux rayons solaires, ou seulement à la clarté du jour, il était naturel que l’on cherchât si cette propriété ne pourrait pas servir pour obtenir des empreintes de gravures ou d’objets naturels, soit par l’application immédiate sur un papier imprégné de ces substances, soit par la concentration optique des rayons que ces objets auraient émis ou transmis. L’idée en vint à Wedgwood et à Davy vers 1802. Mais des essais multipliés, qu’ils tentèrent ensemble, leur montrèrent que l’impressionnabilité de ces pré- parations n’était pas assez vive pour donner des empreintes nettes dans la chambre noire, même après beaucoup de temps, et avec une illumination très-intense. Le physicien Charles, qui, bien longtemps avant cette époque, donnait au Louvre des cours publics, renommés pour la beauté des instruments et des expériences, y effectuait, à ce qu’on assure, des silhouettes par le même procédé. Mais je ne saurais dire si c’était antérieure- ment ou postérieurement aux essais de Wedgwood et Davy. M. Niepce, de Châlons sur Saône, commença à s’occuper du même problème vers 1814. C’était un homme d’un esprit spéculatif et inventif, plutôt qu’instruit des choses connues ; et il paraît même qu’il était peu familier avec les procédés optiques 1 . Toutefois, s’étant tourné et obstiné à cette recherche, il alla plus loin et visa plus juste qu’on ne l’avait fait auparavant ; car il obtint, par la seule influence de la radiation, des empreintes exactes de gravures appliquées sur un tableau impressionnable, et même quelques linéaments d’images dans la chambre noire 2 , ce qui était d’une bien plus grande difficulté. Le procédé, ou la substance dont il faisait usage, reproduisait directement les ombres par des ombres et les lumières par des clairs ; condition d’une importance capitale, qu’aucun des essais anté- rieurs n’avait pu remplir. Mais la lenteur avec laquelle les effets étaient produits entraînait des inconvénients considérables ; car, même en procédant par application immédiate, ils ne s’opéraient qu’après quatre ou cinq heures ; et, dans la chambre noire, ils ne devenaient distincts qu’après deux ou trois jours d’exposition à la plus vive lumière 3 ; ce qui en ren- dait l’usage impossible pour la représentation des paysages, et même des objets naturels de quelque étendue, à cause du déplacement inévitable des ombres pendant l’opération. Le peu de connaissance qu’avait M. Niepce dans les arts du dessin l’empêchait de sen- tir combien il fallait attacher d’importance à ce que les contours des objets fussent repro- duits avec netteté, et que les tons plus ou moins lumineux de leurs diverses parties suivis- sent les mêmes dégradations dans les empreintes formées. Mais, eût-il compris ces conditions, l’imperfection des appareils optiques qu’il employait lui aurait rendu impos- sible d’y satisfaire. C’est ce que prouvent les épreuves qu’il donna alors à quelques amis, et qui sont seulement des calques très-imparfaits de gravures 4 . Toutefois, le premier germe d’une représentation fidèle des objets par l’action de la radiation, même diffuse, s’y trou- 1833 1839 1 De l’été 1833 jusqu’à l’automne 1839 1. Biot n’ayant jamais rencontré Niépce, il va de soi que c’est Daguerre que nous entendons s’exprimer sous la plume de l’académicien. 2. Nous savons combien cette assertion est inexacte. Les observations et critiques faites en 1829 par Lemaître et Daguerre montrent que les images obtenues en chambre obscure par Nicéphore étaient parfaitement visibles en noir et blanc sur argent. 3. C’est une des rares mentions de temps de pose du procédé de Niépce. Les temps sont conformes à ceux que nous avons observés lors de nos reconstitutions en laboratoire. A noter que les mêmes valeurs de temps de pose seront à nouveau indiquées lors de la séance du 19 août 1839 à l’Institut ; nous l’appren- drons par les quotidiens publiés dès le jour suivant. (v. 634). 4. Nous voyons poindre ici la stratégie adoptée par l’Institut pour présenter les travaux de Niépce, de manière à ce que leur antériorité soit incontestable sur le plan international, mais pas sur ceux de Daguerre : il ne
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