Niépce correspondance et papiers
N IEPCE 1145 rêt de la découverte de mon père 1 ! C’est avec la plus vive reconnaissance, Monsieur, que je viens vous en témoigner toute ma gratitude ! Personne mieux que vous, n’a pu apprécier l’érudition et la modestie de mon père : personne, je vous assure, n’a laissé dans son cœur, de plus aimables souvenirs..! Il aimait à se rappeler les agréables instans qu’il avait passés près de vous à Kiew ; et dans les doux épanchemens de l’amitié, il n’oubliait jamais vos bontés pour lui, et le tendre intérêt que vous preniez au cruel événement, qui prolongeait son séjour en Angleterre ! La découverte de mon père, à l’époque où vous l’avez vue, n’avait point atteint le degré de perfectionne- ment // qu’il désirait : à son retour en France, il reprit ses travaux scientifiques, et après une année d’expériences, il avait obtenu plus de promptitude dans l’effet, et une plus grande netteté dans les images transmises par la chambre noire. La substance qu’il employait alors, était aussi plus sensible au fluide lumineux ; enfin dans cet état, la science et les arts auraient pu profiter utilement de cette découverte. Dans l’entrefaite, M r . Daguèrre ayant entendu parler des travaux de mon père, lui écrivit, pour s’assurer de leur réalité : de là, s’établirent des rapports, qui eurent pour résul- tat, un acte d’association entre mon père et M r . Daguèrre, qui apporta à la société, une chambre noire perfectionnée 2 , et ses talens ; mon père, donna sa découverte ! Cette société fut formée le 14 décembre 1829. Quelques améliorations en furent la suite, tant sous le rap- port de la promptitude, que sous celui de la pureté des traits, et de la délicatesse des teintes. Les choses en étaient là 3 , lorsque la mort vint frapper mon père, et nous l’enleva subi- tement, le 5 juillet 1833. La société fut continuée entre M r . Daguerre et moi. M r . Daguerre ayant trouvé une substance plus sensible à la lumière, que toutes celles employées jusqu’à ce jour, exigea pour me la faire connaître, que ce procédé portât son nom Daguerréotype ! Vous sentez, Monsieur, combien cette exigeance dut me révolter..! // Désormais, le nom de mon père, le seul, le véritable inventeur d’une aussi belle découverte, allait être éclipsé par le nom d’un homme au quel il avait donné son secrèt ! Je résistai vainement, et pour ne pas perdre le fruit des travaux de mon père, je consentis en tremblant, au sacrifice que m’impo- sait l’ambition. Le procédé fut publié sous le nom de Daguèrre, et celui de mon père restait ignoré ; ou si parfois il s’échappa de la bouche de mon associé, ce ne fut que pour mieux faire ressortir la supériorité de son procédé, et anéantir la gloire du premier inventeur ! Mais la providence, dont la justice ne peut être longtems méconnue, nous fit apparaître votre compatriote, M r . Talbot : la question de priorité soulevée, il fallut y répondre : le nom de mon père, devait protéger Daguèrre, il devint indispensable de le faire sortir de l’oubli dans lequel on l’avait plongé ; ses travaux avaient traversé une période de vingt-cinq années, il fallut le constater ; l’acte d’association éxistait, il fallut le mettre au jour ; il fallut enfin prouver qui, était le seul, le véritable inventeur d’une découverte qui excite l’admiration générale ; le nom de mon père reparut, ainsi que le soleil après une brume épaisse. Dès ce moment, je fus heureux, satisfait ; mon but était rempli, et du fond de mon cœur, je remer- ciais M r . Talbot, qui ne se doutait guères de l’important service qu’il m’avait rendu..! 612 1833 1839 1. V. 608. 2. Les perfectionnements n’étaient malheureusement pas adaptés à l’héliographie. Daguerre l’ayant lui- même avoué (D. p. 42 note 1), Isidore écrira « qu’en s’imaginant avoir perfectionné la chambre noire, M. Daguerre s’est fait illusion » (I.N. pp. 41-42). 3. Comment admettre que ces mots et la phrase précédente désignent le physautotype ? Et pourtant !
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