Niépce correspondance et papiers

N IEPCE 1179 naison était un sel blanc qu’ils appelèrent lune ou argent corné . Ce sel jouit de la propriété remarquable de noircir à la lumière, de noircir d’autant plus vite que les rayons qui le frap- pent sont plus vifs. Couvrez une feuille de papier d’une couche d’argent corné ou, comme on dit aujourd’hui, d’une couche de chlorure d’argent ; formez sur cette couche, à l’aide d’une lentille, l’image d’un objet ; les parties obscures de l’image, les parties sur lesquelles ne frappe aucune lumière resteront blanches ; les parties fortement éclairées deviendront complète- ment noires ; les demi-teintes seront représentées par des gris plus ou moins foncés. Placez une gravure sur du papier enduit de chlorure d’argent, et exposez le tout à la lumière solaire, la gravure en dessus. Les tailles remplies de noir arrêteront les rayons ; les par- ties correspondantes de l’enduit, celles que ces tailles touchent et recouvrent, conserveront leur blancheur primitive. Là, au contraire, où l’eau-forte, le burin n’ont pas agi, là où le papier a conservé sa demi-diaphanéité, la lumière solaire passera et ira noircir la couche saline. Le résultat nécessaire de l’opération sera donc une image semblable à la gravure par la forme, mais inverse quant aux teintes : le blanc s’y trouvera reproduit en noir, et réciproquement. Ces applications de la si curieuse propriété du chlorure d’argent, découverte par les anciens alchimistes sembleraient devoir s’être présentées d’elles-mêmes et de bonne heure ; mais ce n’est pas ainsi que procède l’esprit humain. Il nous faudra descendre jusqu’aux pre- mières années du XIX e siècle pour trouver les premières traces de l’art photogénique 1 . Alors, Charles, notre compatriote, se servira, dans ses cours, d’un papier enduit, pour engendrer des silhouettes, à l’aide de l’action lumineuse 2 . Charles est mort sans décrire la préparation dont il faisait usage ; et comme sous peine de tomber dans la plus inextricable confusion, l’historien des sciences ne doit s’appuyer que sur des documents imprimés, authentiques 3 , il est de toute justice de faire remonter les premiers linéaments du nouvel art à un mémoire de Wedgwood, ce fabricant si célèbre dans le monde industriel, par le per- fectionnement des poteries et par l’invention d’un pyromètre destiné à mesurer les plus hautes températures. Le mémoire de Wedgwood parut en 1802, dans le numéro de juin du journal Of the royal Institution of Great Britain . L’auteur veut, soit à l’aide de peaux, soit avec des papiers enduits de chlorure ou de nitrate d’argent, copier les peintures des vitraux des églises, copier des gravures. «Les images de la chambre obscure (nous rapportons fidèlement un passage du mémoire), il les trouve trop faibles pour produire, dans un temps modéré, de l’effet sur du nitrate d’argent.» ( The images formed by means of a camera obscura, have been found to be too faint to produce, in any moderate time, an effect upon the nitrate of silver. ) Le commentateur de Wedgwood, l’illustre Humphry Davy, ne contredit pas l’assertion relative aux images de la chambre obscure. Il ajoute seulement, quant à lui, qu’il est par- venu à copier de très petits objets au microscope solaire, mais seulement à une courte dis- tance de la lentille. Au reste, ni Wedgwood, ni Humphry Davy ne trouvèrent le moyen, l’opération une fois terminée, d’enlever à leur enduit (qu’on nous passe l’expression), d’enlever à la toile de leurs tableaux, la propriété de se noircir à la lumière. Il en résultait que les copies qu’ils avaient obtenues ne pouvaient être examinées au grand jour ; car au grand jour tout, en 1. Aussi bien dans les Comptes Rendus que dans la brochure de Daguerre, « photogénique » sera systémati- quement remplacé par « photographique ». 2. Le physicien J.-Alexandre-César Charles (1746-1823). 3. Jusqu’à aujourd’hui, il n’a été trouvé aucun document relatant cette expérience. 629 1833 1839

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