Niépce correspondance et papiers
1296 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS Appendice arriva un malheur que je n’oublierai jamais, car en prenant une grosse vessie remplie de blanc de plomb et l’ayant laissé tomber à terre, elle se creva. Désolés, et dans l’appréhension de voir rentrer son père tandis que nous cherchions à réparer ma sottise, il arriva et ne tarda point à s’apercevoir de cette malheureuse catastrophe, puis se saisit aussitôt d’une cravache (car il était un peu brutal) et en frappa son fils ; pour moi, tapi dans un coin de l’atelier et tout tremblant, je le priais de nous pardonner en l’assurant que j’étais l’auteur de cette sottise, en sorte qu’il se contenta de me menacer de mes parents. Ce fut alors que je gagnai promptement la porte, me promettant bien de n’y plus retourner quoique dans la suite il m’y engageât fort. Je racontai mon histoire à mon mécène, qui en rit beaucoup avec mes parents que je tour- mentai jusqu’à ce qu’on m’eût fait faire une palette et que l’on m’eût fourni toutes les couleurs et pinceaux que je leur demandai, et je copiai chez mon père 1 les meilleurs tableaux que je pouvais me procurer. Dessinant toujours à l’âge de neuf ans 2 avec beaucoup de soin, je me rap- pelle que je copiai une estampe très-bien gravée représentant des oiseaux, dont le duvet de la plume était on ne peut mieux rendu, et que j’imitai si parfaitement que l’on prit mon dessin pour la gravure, ce qui enchantait mes parents et me donnait de l’amour propre d’après la considération qu’on me marquait dans la ville ; aussi n’allais-je plus avec mes camarades que je regardais comme des polissons. Ce genre me paraissant bientôt au-dessous de celui historique auquel je voulais parvenir, je me faisais de ce dernier une si grande idée, que je mettais Michel-Ange et Raphaël au-dessus des plus grands potentats. Je ne négligeais donc rien de ce qui pouvait me faire arriver à mon but, et en lisant les écrits de Léonard de Vinci 3 , j’appris que l’on ne pouvait dessiner sans connaître l’ana- tomie ; aussi allais-je voir un habile chirurgien, ami de mon père, qui, le scalpel en main, se fai- sait un plaisir de me démontrer l’origine, l’insertion et le mouvement des muscles. De mon côté mon amour pour cette science par rapport au dessin, me fit bientôt surmonter l’horreur qu’ins- pire la vue de notre destruction. N’ayant pas moins de goût pour le paysage, j’allais, à l’exemple des grands peintres en genre, dessiner des points de vue, des arbres et des animaux, sans autre maître que la nature et les avis de mon Mécène 4 , qui s’en amusait beaucoup. Mais bientôt, je fus forcé de changer mes occupations, parce qu’un ami de mon père lui fit entendre que la peinture était un art trop ingrat, et qu’il fallait au contraire que je me livrasse à la sculpture et à l’architecture, arts qui pouvaient me conduire à de grandes entreprises et à me procurer de la fortune. Mon père vou- lut donc que j’abandonnasse le pinceau, et comme j’aimais aussi l’architecture, je m’y adonnai avec le fils de l’ami de mon père, ce qui causa infiniment de peine à mon Mécène qui, à mon grand regret, se brouilla avec mon père. Cela ne m’empêcha pourtant point d’aller le voir en 1. L’acte de baptême de Boichot (Saint-Vincent, 30 août 1735) précise que son père était « maître coutelier » à Chalon, et non « un modeste fabricant de clous » (V.F. p. 20). 2. Ceci nous ramène à l’année 1744. 3. Dont les notes et croquis, notamment ceux concernant la camera obscura, étaient alors inédits. A cette époque,seuls son Traité de la peinture et un Recueil de dessins avaient été publiés.Ces ouvrages provenaient- ils de la bibliothèque d’Antoine Barault ? Ce n’est pas improbable. 4. Ceci prouvant qu’Antoine Barault ne se contenta pas d’encourager Boichot, ainsi que Fouque l’a interprété. On sait par ailleurs de quelle nature fut l’aide que Gaspard Monge reçut des Barault (v. 1n). Le témoignage de Boichot est d’autant plus intéressant qu’il permet d’imaginer comment, quelque vingt années plus tard, ce grand-père, par ailleurs assez curieux de science pour s’être équipé d’un microscope solaire (v. 247), se comporta avec ses petits-enfants. Ceci sous réserve qu’il les ait vus grandir. Dans l’état actuel de nos recherches, sa trace se perd après le 2 août 1768 ; néanmoins il n’est pas impossible qu’il ait été encore en vie en 1792 (v. 65n).
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