Niépce correspondance et papiers
1348 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS Appendice grandes préventions contre la France. A Rastad 1 , à Calsrhou 2 , à Dourlach on nous prend tous pour des antropophages. Sitôt qu’on y eut appris la déclaration de guerre, la terreur s’empara de tous les esprits. On pleuroit; on crioit: les femmes et les enfans croyoient qu’ils alloient être mangés. A chaque poste on venoit me demander, en tremblant, si les Français avoient passé le Rhin [...] 3 Des conditions de son voyage, du retard pris à la frontière, on aura encore quelque idée grâce au récit du ministre plénipotentiaire Caillard qui, accompagné du secrétaire de légation Dodun, prit la route quelques semaines plus tard. Le 1 er juin, Caillard écrivait au ministre depuis Dijon 4 : [...] Nous sommes partis de Paris, comme vous le savez, le dimanche 27 du mois dernier et nous devrions être aujourd’hui beaucoup plus avancés sur notre route. Un malheureux accident que nous avons éprouvé à Montigny/Aube, village du département de la Côte-d’Or, nous a causé un retard d’une nature très fâcheuse. Cette difficulté nous a obligé de porter plainte au district de Châtillon/Seine. J’ai rédigé en présence de Mr. Dodun une déclaration des faits et j’ai l’honneur de vous en envoyer une copie [...]. Caillard. Le malheureux accident éprouvé à Montigny-sur-Aube vaut d’être résumé en quelques mots. Après une erreur de route, la voiture du ministre plénipotentiaire a dû emprunter un che- min de traverse. Devant le refus du postillon de poursuivre, les voyageurs veulent continuer leur chemin avec des chevaux de labour. Des curieux s’approchent et doutant de l’état de MM. Caillard et Dodun, commencent à les interroger. Le maître de l’auberge intervient en qua- lité d’officier municipal et demande à voir leurs passeports. Les deux voyageurs s’exécutent. Le maître de l’auberge manifeste son étonnement qu’il faille passer par Bâle pour aller à Ratisbonne et déclare « qu’il y a du louche là-dedans ». Arrive le procureur de la commune qui, à la vue des passeports, déclare que tout lui semble parfaitement en règle. Une querelle s’ensuit avec l’auber- giste. La foule grossit, le bruit augmente, « la fermentation va croissant », la voiture est entourée de toutes parts, secouée et reculée. Par la portière, Mr. Dodun se met à hurler pour couvrir le vacarme et entreprend de haranguer la foule avec autorité, obtenant que le mouvement de la voi- ture s’arrête. Au cri: « Aristocrates!!! » parti du sein de la populace, l’agitation reprend, encou- ragée par des hommes ivres et des femmes en furie. Comble de malchance, un des chevaux s’étant embarrassé dans ses traits, trébuche et fait un mouvement qui laisse croire à une tentative d’éva- sion de la part des infortunés diplomates. La fureur populaire est à son apogée. Mr. Dodun apos- trophe courageusement l’un des braillards qui, selon toute apparence, est l’un des meneurs: Monsieur, il me semble que vous avez quelque expérience de l’autorité en ce pays, profitez-en, nous vous en prions, pour tâcher de calmer ces citoïens égarés! Le silence se fait. Tout à coup, les insultes reprennent. La position de MM. Caillard et Dodun devient « très alarmante ». Heureusement, le médecin arrive in extremis. La force et la personnalité de cet homme sauvent les voyageurs d’une « position critique qui avait duré cinq heures ». Le médecin fait appeler la garde nationale et après que son capitaine ait éva- cué « la multitude », conduit à l’auberge le ministre plénipotentiaire et son compagnon. Après y avoir passé la nuit, le lendemain matin, ils rencontrent le maire, etc. 5 . 1. Rastadt. 2. Carlsruhe. 3. A.M.A.E. CP Allemagne 666. 4. Ib. 5. Cette affaire fait aussi l’objet d’un dossier conservé aux Archives départementales de la Côte-d’Or sous la cote L 389.
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