Niépce correspondance et papiers
1384 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS Appendice vitres, en criant : à bas les royalistes. Je fus compris dans ce nombre, et les principaux habi- tants de la commune vinrent m’avertir que mes jours étoient en danger, qu’il falloit fuir si je ne voulois perdre la vie. Loin de suivre ces conseils déshonorants pour moi, je me rendis seul sur la place où étoit le rassemblement. Bientôt j’y fus entouré de groupes qui me huoient en me pressant vivement. J’ordonnai à un trompette de sonner la générale. Mes soldats prirent les armes, et, après avoir mis ma troupe en bataille, je fis former le cercle. Placé au centre, je haranguai mes soldats, en m’élevant fortement contre les perturbateurs de l’ordre public, et menaçant de faire fusiller sur le champ celui qui prendroit part au désordre en appuyant de son assistance ceux qui se permettroient d’arracher le drapeau blanc, signe de ralliement autour de Sa Majesté Louis dix huit. Ma harangue persuada, et ma contenance ferme en imposa // aux plus mutins des habitants qui, un instant avant menaçoient mes jours par leur provocation. Après cette scène j’eus la satisfaction de voir renaître le calme. Les honnêtes gens se réunirent pour se livrer à la joie. Toutes les maisons furent illuminées, et les cris de vive Louis dix huit, vivent les Bourbons remplacèrent les vociférations des jacobins qui se retirèrent. Le lendemain, une autre scène renouvela toutes les inquiétudes de la ville. Deux régiments de dragons étant arrivés à Lurcy pour y prendre leur cantonnement, ou dans les environs, mani- festèrent leur mécontentement de voir sur le principal clocher de la commune flotter le signe sacré du royaliste. A cette époque l’armée n’avoit pas encore reçu l’ordre de prendre la cocarde blanche. Sur les cinq heures du soir, les soldats de ces régiments excités par les malveillants de la ville, se portèrent avec eux sur la place et de là au clocher où étoit fixé le drapeau blanc. Après avoir fait feu sur lui ils l’arrachèrent et le mirent en pièces aux cris de vive l’Empereur. J’allai sur le champ m’en plaindre aux chefs de ces corps. Ils me répondirent que j’avois eu tort de tant me presser, que les militaires portant encore la cocarde tricolore, ils ne pouvoient pas répondre de leurs soldats qui voyoient un nouveau signe de ralliement qu’ils ne pouvoient pas encore reconnoître. Je leur objectai que le vœu général des Français se prononçant pour la famille des Bourbons, on ne pouvoit, sans crime, se refuser à se ranger sous leurs étendards si justement désirés. Je leur ajoutai que j’allois replacer un autre drapeau blanc et que s’il étoit de nouveau insulté, j’en ferois mon rapport au général comte de France qui l’adresseroit au ministre de la // Guerre qui sûrement ne manqueroit pas de le mettre sous les yeux de Sa Majesté. D’après cette déclaration je me retirai. Je me rendis ensuite chez M. le Maire de Lurcy, et, conjointement avec lui, son adjoint, et le com- mandant de la garde nationale, accompagnés d’un piquet de mes chasseurs, nous replaçâmes sur le clocher le drapeau blanc que j’y ai maintenu et fait respecter. Telle est, Messieurs, la conduite que j’ai tenue pendant le séjour de Bonaparte en France. Je sais qu’elle a déjà été approuvée par Son Excellence le ministre de la Guerre le comte Gouvion S t . Cyr. Enfin je dois ajouter que l’on ne me fera pas un crime d’avoir vu le prince Jérôme lors de son passage dans cette ville. J’avois été colonel commandant ses gardes du corps; j’avois reçu de sa munificence des preuves certaines de sa bienveillance. Pouvois-je faire taire le sentiment de la reconnoissance. Je cédai à son impulsion. Je le vis, il m’accueillit avec bonté, mais inébranlable dans mes principes; ce sentiment naturel, et dont je crois devoir m’honorer, ne diminua en rien l’attachement que j’avais voué au roi et à son auguste famille. Je désire que ma conduite, que je viens de mettre au jour me rende digne de votre estime et me mérite votre approbation.
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