Niépce correspondance et papiers
N IEPCE 1393 App. XVII de Berry, enveloppé de son manteau de taffetas ciré, longeait la colonne et nous adressait au moins un mot sensible et reconnaissant. Mais le peuple raisonnable de ces provinces pleurait sur la porte de ses chaumières. A quelques lieues sur le chemin de Lille on nous arrêta tout à coup par un contre-ordre inat- tendu. Nous revînmes sur nos pas pour reprendre un embranchement qui allait vers Béthune. C’était le roi qui envoyait de Lille où il était arrivée ce contre-ordre à son armée. Il avait trouvé à Lille le duc d’Orléans 1 et le maréchal Mortier, commandant dix ou douze mille hommes de l’armée de l’empereur, indécis encore entre la fidélité et la défection. Ils s’opposaient à ce qu’on nous ouvrît les portes de Lille. Le maréchal désolé ne répondait pas de l’esprit de son armée, si la maison militaire du roi entrait à sa suite dans cette citadelle de la France. Le duc d’Orléans, qui ne voulait pas se compromettre contre les troupes de Bonaparte, négociait déjà son départ pour Londres. Le roi se décidait à quitter Lille et à se réfugier en Belgique. Ce fut le secret de ce contre-ordre que nous ne comprenions pas. Je tombai malade dans une chaumière de la route. Ce n’était qu’une fièvre de lassitude d’un jour. Les soins des bons habitants de cette chaumière furent aussi touchants que pour un fils, la jeune fille de la maison et sa mère veillaient auprès de mon lit. Le lendemain, je fus guéri, et mon che- val reposé rejoignit promptement la colonne. Nous entrâmes le soir dans Béthune. On voyait sur la droite des colonnes de cavaliers commandés par Exelmans, général intrépide et diplomate à la fois, nous suivre à quelque distance à travers les bois; il avait ordre de nous observer sans nous combattre. L’empereur ne voulait pas tirer le premier coup de feu contre le roi de France. Il fal- lait pouvoir dire à l’Europe: « Je n’ai permis aucune violence, la France me rappelle, je suis venu. Où est mon crime? » XXIX Notre entrée à Béthune, dont on ferma les portes sur nous, se fit au milieu de quelque confusion. Les régiments de cavalerie d’Excelmans avaient tourné la ville et nous attendaient à la porte opposée. Un coup de feu partit par hasard. On cru à une alerte, ce n’était qu’une maladresse. Le cheval sur lequel le comte d’Artois était monté fit un soubresaut qui faillit désarçonner le prince, excellent cavalier. Je vis le frère de Louis XVIII, soulevé par le mouvement de son cheval fou- gueux, s’abattre en bondissant et les plumes blanches de son chapeau s’agiter, comme s’il eût été frappé par le coup de fusil. Il n’en était rien. Le cheval prit le galop et le prince le poussa hors de la porte de la ville, avec le duc de Berry et le maréchal Marmont. Un régiment de grenadiers de la garde les suivait; deux régiments de l’armée impériale, lanciers et carabiniers, étaient en bataille à deux cents pas de là, dans un attitude menaçante, mais indécise. Le duc de Berry s’avança presque seul et leur parla. « Tirez si vous l’osez sur le frère et le neveu de votre roi, ou retirez-vous et obéissez au moins à la décence et au malheur. » Ils firent sans mur- murer ce que le prince leur commandait et se replièrent en nous livrant la route d’Armantières, par laquelle on entrait en Belgique. Le comte d’Artois, le duc de Berry, le maréchal Marmont rentrèrent dans Béthune. Nous pou- vions à peine suffire à l’empressement des habitants qui nous offraient leurs demeures et leurs écuries. J’entrai chez un maréchal-ferrant qui avait un vaste local plein de jeunes ouvriers, près de la grande place de la ville. Ils prodiguèrent à tous ce qui était nécessaire, aux chevaux et aux hommes. Nous bûmes à la santé du roi avec nos hôtes. Leur cœur était avec nous. 1. Le futur roi Louis-Philippe.
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