Niépce correspondance et papiers

N IEPCE 1397 App. XVIII travers quelques hameaux arides jusqu’au fond de la vallée. Là le site change, les collines de vignes s’abaissent en larges prairies, où coulent quelques ruisseaux d’eau bruyante et limpide, des peupliers montent en rideau dans le ciel; puis la vallée s’élargit et l’œil va se perdre dans un lointain vaporeux sur des hêtres et des sapins pyramidaux. A l’horizon, derrière les sapins et les hêtres, des montagnes noires, tachetées de neige, forment le fond. Après avoir monté quelques pas sur une grande route, on apercevait une masse de fumée et de vapeur qui sortait de la gueule des fours d’un grand village et léchait les murailles noires du clocher de Pierreclos. On entrait dans l’église où le prêtre célébrait la messe. L’ancien seigneur 1 et sa famille y occupaient un banc à droite de l’autel. Cette famille se composait du maître du château, vieillard goutteux, à la figure hardie et fière, regardant avec une certaine insolence ses anciens vassaux; de son frère, M. de Berzé, portant le nom du vieux château gothique dont nous avons parlé tout à l’heure, entre Milly et Cluny; de cinq filles, très-agréables de tournure et de figure; puis, d’un jeune fils, à peu près de mon âge, avec qui je fus lié plus tard. On nous faisait place dans la chapelle et nous nous asseyions sur les bancs. Le messe célébrée, les paysans s’écartaient. Le vieux seigneur montait sur son cheval à l’aide de ses domestiques et gagnait, par une avenue roide et pavée, la route du château; nous le suivions à pied avec le reste de la famille, et, sur le dos d’une colline de vignes, nous nous acheminions vers les grilles lointaines de l’habitation. Elle avait un aspect majestueux. Une vaste cour d’hon- neur la précédait; puis, une voûte, haute et large, ouvrait passage sous des donjons inégaux, qui laissaient voir un second passage; enfin, des parterres en plein soleil fleurissaient autour d’un clocher de chapelle s’élevant à gauche sur une haute terrasse; puis, cette espèce de cap, qui por- tait la masse du bâtiment, s’abaissait tout à coup comme dans une décoration d’opéra et laissait l’air, le jour, la lumière inonder tous les angles de ces gothiques constructions. XIV En entrant dans la cour d’honneur, on admirait d’abord un édifice moderne, régulier, non achevé, et dont les ouvriers n’avaient pas incrusté les fenêtres dans les pierres de taille. L’édifice, de ce côté, était vaste et destiné apparemment à doubler et à remplacer le gothique château com- posé de donjons, de tours carrées, de hauts escaliers tournants, de tourelles irrégulières, de toits aigus, de mâchicoulis, ayant l’aspect d’un village aérien; le tout ensemble couvrait l’extrémité du cap, montait et descendait en cours inégales depuis le rocher du sommet jusqu’au fond de la val- lée. Le haut formait une terrasse ovale sur laquelle s’ouvraient les portes et les fenêtres des esca- liers, des cuisines, des salles et des salons du château habité. XV Les appartements, à l’exception d’un grand poêle en fonte de fer, qui s’élevait en colonne torse dans un angle de la salle à manger, et d’une vaste cheminée en marbre noir ébréché, où brûlaient, dans le salon, des arbres entiers, ressemblaient à des chambres récemment bâties et incendiées de la veille. Le ciment même des maçons n’était plus uniformément répandu sur le mur; ces murs semblaient des pierres brutes que la truelle du badigeonneur n’aurait jamais touchées. Le feu avait léché évidemment les peintures des plafonds qui portaient la trace de l’incendie à peine éteint. « Voyez, disait, en montrant du geste ces vestiges, le comte de Pierreclos, voyez les marques du passage des brigands! voilà la torche d’un tel, voilà la pioche de tel autre, voilà la 1. Le comte Jean-Baptiste Michon de Pierreclos. Il était né le 20 septembre 1737.

RkJQdWJsaXNoZXIy NDY2MA==