Niépce correspondance et papiers
1398 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS Appendice hache d’un troisième. Ah! les scélérats, je les connais bien, et je ne veux pas qu’on efface jamais à mes dépens les souvenirs de ces horreurs! » Le château, en effet, avait été, en 1790, dans la fameuse et inexplicable journée dite du brigan- dage , complètement ravagé et à demi brûlé par des bandes de paysans des montagnes descen- dus des villages forestiers au château de Pierreclos, sur le bruit de l’impopularité du maître, haï du peuple. Le pillage et la dévastation avaient été complets ; la femme et les filles du comte, sau- vées par des métayers fidèles, avaient été conduites dans les bois qui environnaient la vallée ; le comte et ses fils s’étaient abrités eux-mêmes avec peine et avaient juré de se venger. Le fils aîné avait émigré le lendemain. Quant au comte, il était rentré quelque temps après dans sa demeure délabrée, et avait continué à y vivre jusqu’au jour où l’on était venu prendre les canons de sa terrasse pour les conduire à Mâcon, en même temps qu’on menait toute sa famille dans les cachots. Ce n’était plus que par souvenir et par une vengeance de sa mémoire qu’il donnait encore à quelques bourgeois du village l’épithète de brigands. Mon père, qui lors de l’événe- ment, était en congé de semestre à Monceau, avait monté à cheval avec les jeunes gens de Mâcon, poursuivi les incendiaires jusqu’au château de Cormatin, en avait tué un certain nombre dans une bataille aux environs de Cluny, les avait pendus aux arbres de la route, et tout était rentré dans l’ordre, jusqu’au jour où le gouvernement était devenu à son tour persécuteur et où la famille avait été emprisonnée. XVI Le chef de cette famille dont nous étions devenus les voisins avait été autrefois capitaine de cava- lerie, pendant la guerre de Sept ans. Il avait été fait prisonnier par les Prussiens et racontait com- ment la reine de Prusse, qui l’avait accueilli à Postdam, charmée de sa bonne mine et de son esprit, venait tous les matins frapper dans un corridor à sa porte et lui criait: « Allons! comte de Pierreclos, suivez le roi à la chasse, les chevaux vous attendent! » — « A cet appel, disait-il, je me levais, et nous partions pour Sans-Souci 1 ; nous y mangions des soupes à la choucroute déli- cieuses. » La reine de Prusse revenait dans toutes ses conversations. A son retour de Postdam, il avait donné sa démission du service, il avait épousé une fille de bonne maison des environs de Lyon, en avait eu cinq ou six enfants 2 et avait vécu dans son châ- teau, à Pierreclos, objet de respect craintif pour ses paysans et de raillerie pour la bourgeoisie du pays. Il n’était pas méchant, mais fanfaron de vanité, luttant entre l’odieux et le ridicule, bon au fond, quoique violent et rude. Sa femme était morte pendant les emprisonnements. L’aîné de ses fils était émigré; le cadet, ou le chevalier de Pierreclos, était un enfant à peu près de mon âge, très-courageux, très-spritituel, élevé par la seule nature, annonçant ce qu’il a été depuis, un brillant aventurier, semblable au chevalier de Grammont, propre à la guerre civile, à l’amour romanesque, aux affaires équivoques, aux armes, aux chevaux, à tout ce qu’on appelle l’héroïsme de bonne compagnie. Nous fûmes liés dès nos premiers jeux. Ses sœurs, un peu plus âgées que lui, étaient des caractères originaux sous de charmantes figures. Comme il n’y avait point de mère, il n’y avait point d’éducation ; elles s’élevaient les unes les autres. Il y avait bien dans le château une vieille tante, sœur du père, femme d’esprit, étrange comme lui, mais qui n’aurait pu apprendre à ses jolies nièces que le jeu, dont madame 1. Château royal de Prusse, dans le Brandebourg, à 2 kilomètres au nord-ouest de Postdam. Il fut construit en 1745 par Frédéric II. 2. Six qui vécurent ; mais huit naquirent : Zorine, le 29/03/1768 (morte enfant) ; Guillaume-Benoît, le 25/10/1770 ; Marguerite, le 8/11/1771 ; Catherine, le 9/11/1773 ; Jacqueline-Marguerite, le 16/12/1774 ; Guillaume, le 2/02/1777 (mort enfant) ; Zozime, le 16/08/1779 ; Antoine-Guillaume-Adolphe, le 17/05/1784.
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