Niépce correspondance et papiers

N IEPCE 1399 App. XVIII de Moirode était occupée du matin au soir. Elle entrait au salon à huit heures du matin, elle s’asseyait dans un tonneau de soie comme madame du Deffant ; elle en levait les rideaux autour d’elle pour se préserver du courant d’air, et elle offrait des cartes à tous les survenants, frères, sœurs, neveux, nièces, jouant sans interruption d’un repas à l’autre, se reposant quelques minutes dans le milieu du jour et recommençant avec de nouveaux venus jusqu’au souper. Le chevalier de Berzé, ancien officier de cavalerie, comme le comte de Pierreclos, son frère, ruiné de bonne heure, était venu prendre la place de jardinier de la maison; dans le salon, il n’avait d’autre fonction que de tenir les cartes et d’apporter les bûches au feu, serviteur complaisant de tout le monde et que tout le monde aimait. Je l’ai vu vivre, vieillir, mourir, meuble vivant, n’ayant d’autre emploi dans la vie que de dire oui à toutes les interrogations de son aîné, d’apporter des melons de son jardin à la salle à manger, des fleurs à ses nièces et des fagots au foyer. Le dîner fini, on rentrait au salon en reprenant les cartes, et l’on recommençait à jouer jusqu’au coucher du soleil. Pendant ce temps, les jeunes demoiselles et les jeunes gens montaient dans les chambres hautes pour y faire de la musique qui retentissait dans les escaliers sonores. Le cheva- lier et moi, nous sortions sur la terrasse, nous allions visiter les chiens au chenil, les chevaux ou les bœufs à l’écurie. Je me souviens d’un jour où, ayant trop bourré de poudre un petit canon portatif, sous le portail de la chapelle du jardin, nous y mîmes le feu; il faillit, en éclatant, empor- ter nos têtes jusqu’à la croix du clocher. Le soir venu, toute la société, sans excepter les jeunes filles, reprenait à pas lents l’avenue du vil- lage, qui nous ramenait à Milly. On nous reconduisait une partie du chemin [...] Le décor étant planté, les personnages identifiés et reconnaissables sous l’anonymat, découvrons maintenant, grâce aux Confidences 1 , la genèse de Jocelyn 2 . NOTE XVII [...] Ce qui m’attachait de plus en plus au pauvre curé de Bussière 3 , c’était le nuage de mélancolie mal résignée qui attristait sa physionomie [...] Ce mystère, je ne cherchais point à lui arracher, il ne me l’aurait jamais confié lui-même. Entre un aveu de cette nature et l’amitié la plus intime avec un jeune homme de mon âge, il y avait les convenances sacrées de son caractère sacerdotal. Mais les chuchotemens des femmes du village commencèrent à m’en révéler confusément quelque rumeur, et, plus tard, je connus ce mystère de tristesse dans tous ses détails. Le voici: A l’époque où l’évêque de Mâcon avait été chassé de son palais par la persécution contre le clergé et emprisonné, l’abbé Dumont n’était qu’un jeune et beau secrétaire. Il rentra chez le vieux curé de Bussière, qui avait prêté serment à la Constitution. Il se répandit dans le monde, se mêla, avec l’ascendant de sa figure, de son courage et de son esprit, aux différens mouvemens d’opinion qui agitaient la jeunesse de Mâcon et de Lyon à la chute de la monarchie et au commencement de la république; il se fit remarquer surtout par son antipathie et par son audace contre les jacobins. Poursuivi comme royaliste sous la terreur, il finit par s’enrôler dans ces bandes occultes de jeunes gens royalistes qui se ramifiaient et se donnaient la main depuis les Cévennes jusqu’au 1. Publ. en 1849. 2. Publ. en 1836. 3. L’abbé Dumont. Bussières est un village équidistant de Milly et Pierreclos, à un peu plus d’un kilomètre.

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