Niépce correspondance et papiers

1400 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS Appendice campagnes de Lyon. Intrépide et aventureux, il se lia, par la conformité des opinions et par le hasard des rencontres, des combats et des dangers de la guerre civile, avec le fils d’un vieux gentilhomme du Forez. Le château de cette famille était situé dans une vallée sauvage, sur un mamelon escarpé. Il servait de foyer aux conspirations et de quartier-général à la jeunesse royaliste de ces contrées. Le vieux seigneur avait perdu sa femme au commencement de la Révolution. En mourant, elle avait laissé quatre filles à peines sorties de l’adolescence. Elevées sans mère et sans gouvernante dans le châ- teau d’un vieillard chasseur, soldat, d’une nature bizarre, d’un esprit inculte et illettré, ces jeunes filles n’avaient de leur sexe que l’extrême beauté, la naïveté et la grâce, avec toute la vivacité d’im- pressions et toute l’imprudence de leur âge. Leur père, dès leurs premières années, les avait accoutumées à lui tenir compagnie à table, au milieu de ses convives de toute sorte, à monter à cheval, à porter le fusil, à le suivre dans ses par- ties de chasse, qui faisaient la principale occupation de sa vie. On comprendra qu’une si char- mante cour, toujours en chasse, en festins, en fêtes ou en guerre, autour d’un tel père, devait atti- rer naturellement la jeunesse, le courage et l’amour dans le château de ***. L’abbé Dumont, en costume de guerre et de chasse, jeune, beau, leste, adroit, éloquent, bien venu du père, ami du frère, agréable aux jeunes filles par l’élégance de ses manières et de son esprit, devint le plus assidu commensal du château. Il faisait, pour ainsi dire, partie de la famille, et fut pour les jeunes filles comme un frère de plus. Il avait sa chambre dans une tou- relle haute du donjon, qui dominait la contrée et d’où l’on apercevait de loin une longue éten- due de la seule route qui conduisît au château. Chargé de signaler l’approche des gendarmes ou des patrouilles de garde nationale, il veillait à la sûreté des portes et tenait en ordre l’arse- nal, toujours garni de fusils et de pistolets chargés, et même de deux couleuvrines sur leurs affûts, dont le comte de *** était résolu à foudroyer les républicains, s’ils se hasardaient jusque dans ces gorges. Le temps se passait à recevoir et à expédier des messages déguisés, qui liaient l’esprit supersti- tieux et contre-révolutionnaire de ces montagnes avec les émigrés de Savoie et les conspirateurs de Lyon; à courir les bois à pied ou à cheval dans des chasses incessantes; à s’exercer au manie- ment des armes; à défier de loin les jacobins des villes voisines, qui dénonçaient perpétuellement ce repaire d’aristocrates, mais qui n’osaient le disperser; à veiller, à jouer et à danser avec la jeu- nesse des châteaux voisins, attirée par le double charme de l’opinion, des aventures et du plaisir. Bien que les jeunes personnes fussent mêlées à tout ce tumulte et abandonnées à leur seule prudence, il y avait entre elles et leurs hôtes des goûts, des préférences, des attraits mutuels, mais il n’y avait aucun désordre et aucune licence de mœurs. Le souvenir de leur mère et leur propre péril semblaient les garder mieux que ne l’eût fait la surveillance la plus rigide. Elles étaient naïves, mais innocentes ; semblables en cela aux jeunes filles des paysans, leurs vas- saux, sans ombrage, sans pruderie, mais non sans vigilance sur elles-mêmes et sans dignité de sexe et d’instincts. Les deux aînées s’étaient attachées et fiancées à deux jeunes gentilshommes du Midi ; la troi- sième attendait impatiemment que les couvens fussent rouverts pour se consacrer toute à Dieu, sa seule pensée. Calme au milieu de cette agitation, froide dans ce foyer d’amour et d’en- thousiasme, elle gouvernait la maison de son père comme une matrone de vingt ans. La qua- trième touchait à peine à sa seizième année ; elle était la favorite de son père et de ses sœurs. [...] Elle s’attacha, sans y penser, à ce jeune aventurier, ami de son frère, plus rapproché d’elle par les années que les autres étrangers qui fréquentaient le château. La qualité de royaliste donnait alors

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