Niépce correspondance et papiers

1406 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS Appendice b. Récit de Charles Chevalier. 1 [...] Doué d’un esprit original et créateur, Daguerre préludait à son grand succès de Diorama en peignant les décorations du théâtre de l’Ambigu, lorsqu’il vint à l’atelier que je dirigeais alors avec mon père [Vincent Chevalier], afin d’y choisir des objectifs. Je me rendis fréquem- ment chez lui, rue de Crussol, pour essayer ces lentilles et les chambres obscures dont il fai- sait usage. Combien de fois l’ai-je entendu s’écrier, en admirant les tableaux qui se succédaient sur la glace dépolie : — Ne réussira-t-on jamais à fixer ces images si parfaites ! — Cette brillante idée, ce désir presque fantastique, s’était déjà emparé de sa vive imagination et dut prendre une force nouvelle, lorsque vinrent à la connaissance de l’artiste les tentatives de Boilly, Charles, Cayeux et quelques autres, dans le but de perfectionner la chambre obscure. A cette époque, nous avions, mon père et moi, fait subir à cet appareil d’heureuses modifications qui nous valurent un beau rapport de Hachette à la Société d’Encouragement 2 . Cette communauté d’idées, bien que le but ne fût pas le même, nous procurait le précieux avantage de voir fréquemment Daguerre ; il était fort rare qu’il ne vînt pas une fois par semaine à notre atelier. Comme on le pense bien, le sujet de la conversation ne variait guère, et si parfois on se laissait aller à quelque digression, c’était pour revenir bientôt, avec une ardeur nouvelle, à la disposition de la chambre obscure, à la forme des verres, à la pureté des images. Ces conversations devaient aiguillonner le désir si ardent qui poursuivait Daguerre nuit et jour; les persévérantes recherches de cet esprit opiniâtre le conduisirent enfin à un résultat ; lequel ? nous l’ignorons. Un jour qu’il était venu, comme de coutume, il nous dit : — « J’ai trouvé le moyen de reproduire les images de la chambre obscure ! — Quelqu’un qui n’aurait pas connu l’homme comme nous le connaissions, l’aurait bien certainement cru atteint d’un accès de démence lorsqu’il annonçait, d’un air sérieux, cette étourdissante nouvelle : — J’ai trouvé le moyen de fixer les images de la chambre obscure ! — J’ai saisi la lumière au passage et je l’ai enchaînée ! — J’ai forcé le soleil à me peindre des tableaux ! — N’est-ce pas pour le moins tout aussi singulier que d’entendre ce fou s’écrier : — Tant pis pour les Parisiens, ils se passeront de lune ce soir, car je ne sortirai pas! — Mais Daguerre était bien sain d’esprit ; il allait, disant sa nouvelle à tous ses amis ; MM. Carpentier, Peron, Jazet, peuvent l’attester comme nous. Quelques-uns ne voyaient dans cette annonce stupéfiante qu’une plaisanterie d’artiste et ren- daient la monnaie de la pièce ; d’autres réfléchissaient et se demandaient si vraiment cela était possible ; peut-être y en eut-il plusieurs qui, rentrés chez eux, se mirent à l’œuvre, afin d’essayer si l’invraisemblable n’était pas vrai et s’il ne leur serait pas possible d’arriver les premiers. En admettant que Daguerre eût vraiment trouvé ce qu’il annonçait, et, pour moi, je n’ai aucune raison d’en douter, il est certain qu’il avait crié victoire prématurément, ou plutôt, qu’après avoir obtenu l’image, il n’avait pu la fixer, et qu’au moment où il contemplait sa captive, elle s’était éva- nouie, remontant vers la source d’où elle émanait. Quoi qu’il en soit de ces premières tentatives, la Photographie n’était encore qu’une espérance, même pour Daguerre, lorsqu’un parent de Nicéphore Niepce [le colonel David Niepce] nous apprit que ce savant et modeste investigateur avait le désir d’essayer notre nouvelle chambre obs- 1. Publ. in C.C. p. 17. 2. Note de Charles Chevalier : « Le physicien Charles, chargé de faire un rapport à l’Académie des sciences sur notre chambre obscure à prisme, nous acheta immédiatement un de ces appareils pour le cabinet du Conservatoire ; la Société d’Encouragement fit aussi l’acquisition de cet instrument pour sa collection, sur la proposition de Hachette qui nous fit admettre parmi ses membres ».

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