Niépce correspondance et papiers

1408 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS Appendice tenir pour satisfait, et qu’une éducation scientifique insuffisante livrait à tous les hasards des tâtonnements incertains, voyait tour à tour se rapprocher ou s’éloigner le but de ses espérances, se réaliser ou s’anéantir l’objet de sa poursuite infatigable 1 . Troublé par les gloires de sa vie d’artiste qu’il lui eût été si facile de rajeunir, l’inventeur du dio- rama se demandait tantôt s’il n’était pas attiré par le mirage d’une vaine chimère, tantôt si, au jour du succès, il ne se trouverait pas en face d’un spoliateur. Où se procurer, en effet, les lames de plaqué et les réactifs chimiques, sans mettre un plagiaire sur la voie des essais qu’il tentait? Ne fallait-il pas épuiser tour à tour les divers quartiers de Paris, ne revenant jamais, pour le même objet, chez le même fournisseur? Ne fallait-il pas mêler à l’achat des matières utiles celui d’ingrédients sans emploi destinés à détourner une curiosité intéressée ou indiscrète? Que de soins! S’agissait-il ensuite de fixer une image, celle d’un monument immobile et vive- ment éclairé lui étant indispensable, il était contraint d’opérer dans la rue ou en plein champ. Tout lui faisait ombrage alors: le passant, parce qu’il avait l’air trop indifférent; celui qui s’arrê- tait, parce qu’il avait l’air trop curieux; celui qui se tenait éloigné, sa réserve n’étant pas natu- relle. Les personnes familières avec les écrits des alchimistes peuvent seules se représenter ce tableau naïf de la vie troublée de Daguerre, ainsi vouée, pour une moitié, à la crainte d’échouer, et, pour l’autre, à la terreur de se voir dérober son trésor. Quiconque a réfléchi sur l’histoire des découvertes ne mettra pas en doute, cependant, que, si la photographie a obtenu l’immense succès qui chaque jour augmente, c’est que Daguerre, qu’on oublie trop et envers qui l’ingratitude semble de mode, ne s’est pas contenté de produits impar- faits, qu’il ne s’est pas arrêté en route, et qu’il a montré du premier coup des épreuves d’un art irréprochable, devant lesquelles les plus délicats se sont inclinés. Mais par quels sacrifices et par quelles angoisses il a payé l’honneur de doter son siècle d’une de ses plus merveilleuses conquêtes! Perdre les quinze plus belles années de sa vie, dédaigner les intérêts matériels, ignorer les inquié- tudes de ses proches, vivre dans le doute, pendant le jour à multiplier des essais décourageants, pendant les nuits à se reprocher d’être un déserteur de l’art, demander pourtant à la science une gloire qu’elle fait longtemps, bien longtemps solliciter et attendre: voilà, Messieurs, ce que coûte l’invention, et à quel prix on laisse un nom dans l’histoire des découvertes! [...] Pièce n° 2 Interprétation de Saint-René Taillandier, directeur de l’Académie Française, en présence de l’intéressé. Sa réponse au discours de réception de Dumas, le 1 er juin 1876 : [...] Un jour un homme se présente chez vous au nom d’une famille désolée. Le chef de cette famille, un peintre habile, a laissé là ses toiles, jeté ses pinceaux, et transformé son atelier en labo- ratoire. Que cherche-t-il ? Il a l’ambition de saisir les fuyantes images de la chambre obscure, il prétend fixer sur le métal cette apparence, ce spectre, ce rien. Il est fou, dit le bon sens vulgaire... le début de l’histoire annonce déjà le drame; ce qui donne à ce drame un caractère plus vif, plus douloureux, c’est que vers le même temps un autre inventeur, M. Niepce de Saint-Victor, à qui M. Chevreul a rendu de si éclatants hommages, poursuivait un rêve du même genre 2 . Nous 1. Est-il imprudent de retenir de cet alinéa que Dumas paraît y signifier qu’il suivit de près l’évolution de l’in- vention ? 2. Confusion entre Nicéphore et son petit cousin, lequel n’était mort que six ans plus tôt. Saint-René Taillandier ignorait évidemment tout de l’histoire de la photographie.

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