Niépce correspondance et papiers

1468 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS Appendice Mais si cette image était un physautotype, comment, en dépit de son aspect, Davanne a-t-il pu croire qu’il avait sous les yeux du bitume de Judée ? Non seulement le bitume était alors bien connu car on l’employait dans l’imprimerie pour la photogravure, mais de plus, Davanne, détenteur d’un brevet pris en 1852 pour la photogravure sur pierre à l’aide de bitume de Judée, connaissait très bien ce composé et était à même de l’identifier. Insistons une fois encore sur le fait qu’à cette époque les historiens de la photographie ne pouvaient imaginer qu’une épreuve réalisée par Niépce pût être autre qu’une image au bitume. À deux reprises, Davanne a risqué une description des images de Niépce sans en avoir vu aucune. La première figure dans l’ouvrage qu’il publia avec Barreswill en 1858 : Dans les images de Niépce, les blancs étaient produits par une légère couche de bitume de Judée ; les noirs, par le brillant de l’argent ou mieux par l’iodure d’argent noirci à la lumière 1 . La seconde fut donnée en 1885, lors de la conférence qu’il fit à Chalon-sur-Saône à l’occasion de l’inauguration de la statue de Niépce : L’image apparaît en jaune d’or quelque peu farineux, sur un fond poli qui semble noir, si l’on se met dans des conditions convenables de reflets 2 . Davanne appuya cette seconde description, d’une part sur la Notice que Niépce adressa à la Royal Society en décembre 1827, d’autre part sur des essais d’héliographies au bitume spécialement réalisés pour cette conférence par A. Chardon. Or les images décrites dans la Notice dite de Kew traduisent l’avancée des recherches de Niépce à cette date : pendant l’été 1827, l’inventeur avait commencé à faire des images au bitume de Judée sur de l’étain brillant, visibles en négatif/positif. Il faut croire que Davanne avait en tête le souvenir de cet aspect du procédé au bitume, puisque celui de la table servie ne le surprit apparemment pas. On peut donc penser que cette vue se présen- tait en positif ou en négatif suivant les conditions d’éclairage. Si cette description peut convenir à certaines héliographies, nous savons maintenant qu’elle convient aussi parfai- tement aux physautotypes. Rappelons qu’Eugène Niépce laissa indirectement entendre que l’image fut obtenue pendant l’association de son grand-père avec le directeur du Diorama. Or aucune hélio- graphie au bitume, même parmi celles réalisées par Niépce entre 1830 et 1833, ne doit quoi que ce soit à Daguerre. Seul le procédé du physautotype, inventé par les deux associés pen- dant l’été 1832, se trouve dans ce cas. Tout porte donc à croire que la table servie était un physautotype 3 . I MAGE SUR VERRE INVERSÉE GAUCHE - DROITE . Les deux seules photogravures première génération connues de la table servie (celle de 1892 et celle de 1903) montrent une image inversée par rapport à la réalité : couverts à gauche, pain à droite, vin à gauche, anse du pichet tourné à gauche. Cette caractéristique prouve que l’image originale elle-même présentait cet aspect et, a priori, joue en faveur d’un support opaque, une plaque d’argent dans le cas d’un physautotype. 1. A.D.&B. Ce propos a probablement été tiré du texte du discours d’Arago. 2. B.S.F.P. 1885, p. 253. 3. B. Lefebvre, qui lui non plus ne pouvait envisager d’autre procédé que celui au bitume et acceptait la date de 1825 avancée par Davanne, écrivait : « Un tel résultat obtenu par Nicéphore huit années avant sa mort, sans qu’il n’ait jamais réussi à renouveler son exploit, on comprend qu’un certain doute sur l’authenticité de l’auteur de la Table Servie soit apparu […] » (op.cit.).Nous pouvons désormais répondre à cela qu’ayant réa- lisé cette nature morte (et d’autres) peu avant sa mort, il n’est guère surprenant que Niépce n’ait pu multi- plier ce genre d’image.

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