Niépce correspondance et papiers

32 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS pensionnaires des ecoliers de ma classe ; c’est beaucoup m’exposer ; mais sans oser blâmer la conduite du conseil, à mon égard ; le motif qui l’a fait agir doit // réveiller en moi les sentimens de la plus sincere reconnoissance : ce motif n’est autre chose que la crainte de séparer deux cœurs unis par les liens d’une amitié tendre et sans bornes 1 . Un procédé aussi honête et délicat, ne peut qu’alléger beaucoup le poids de mes entraves. Je ne saurois me dissimuler toutes les peines, tous les ennuis que j’aurai souvent à dévorer, mais le senti- ment de la douleur est bien diminué, lorsqu’une ame sensible le partage. D’ailleurs une année n’est pas une éternité, mon successeur qui faisoit la pension 2 veut bien me soulager, au moyen de quoi je suis tranquille pour le present. J’ai fait des réfflexions, j’ai prié ma très chere mere de ne plus songer à la pension que la crainte et l’incertitude m’avoient engagé à lui demander. Je serois au désespoir, mon très révérend père, que nous repandissions de l’amertume sur des jours aussi précieux, plus précieux même que les nôtres. Seroit-il pos- sible que nous fussions la cause de l’alteration de sa santé, des maux, des chagrins cuisants qu’elle éprouve ? ô ciel nous nous croirions les plus malheureux, les plus criminels de tous les hommes ! que cette bonne mere, cette tendre mere se console donc ; qu’elle se persua- de que notre bonheur sans le sien est une chimere ; que nous sommes ce que nous fûmes toujours, des fils peut-être remplis de défauts et d’imperfections, mais des fils pleins de sen- sibilité, pleins de respect et d’attachement [natal] // pour elle. Vous mon très révérend père, que ce nom nous rappelle un précieux souvenir ! daignez être l’organe de nos senti- mens auprès de ma chere mere, lisez lui, je vous prie cet article ; le tems est peut-être plus proche que jamais, où la certitude de notre vocation dissipera ses inquiétudes 3 . Je ne suis on ne peut plus sensible à tout l’intérêt, à toutes les bontés, à toutes les marques d’amitié que vous voulez bien nous témoigner, vous vivrez dans nos cœurs aussi longtems que la mémoire de vos bienfaits. Comptez je vous prie autant sur notre attachement que sur notre reconnoissance, et daignez agréer plus particulièrement que jamais l’assurance de nos prieres et de nos vœux, avec celle des sentimens respectueux avec les quels nous avons l’honneur d’etre, Mon très révérend pere .A Angers le 30. X bre 87. Vos très humbles et très obéissans serviteurs et conf s Nicephore 4 , Bernard Niepce 5 . 1. Lorsqu’un professeur ne donnait pas satisfaction,il arrivait qu’il soit muté dans un autre établissement ; mais le cas était très rare (J.M. p. 118). 2. Peut-être Louis Blin ou Louis Joseph Bailly (v. 23). 3. Le ton des lettres de Nicéphore et Bernard à leur mère montre que si Madame Niépce avait bien voulu pro- mettre à ses fils d’agréer leurs projets d’avenir, les deux cadets n’en étaient pas moins prédestinés à l’état ecclésiastique (v. 25n). 4. Dans les documents dont nous disposons, c’est ici que Nicéphore apparaît pour la première fois. Surprenant (parce qu’il rapproche deux fameux promoteurs de l’image), le fait que le futur inventeur de la photogra- phie apparaisse sous ce prénom à l’occasion du millième anniversaire de l’anathème prononcé par saint Nicéphore contre les iconoclastes (cf. second concile de Nicée, en 787), peut certes passer pour une coïnci- dence. Or il se trouve que cette coïncidence est moins facile à admettre si l’on prend en compte la note sus- dite du Père Bonnardet. A titre d’hypothèse de travail, on peut se demander si en signant Nicéphore, Joseph Niépce n’a pas voulu dénoncer, non sans humour, l’iconoclasme d’un autre âge dont s’était rendu coupable le Conseil de l’Oratoire. En tout état de cause, il y a lieu de s’interroger sur une fable plausible qui trouve dans Nicéphore la plus surprenante et la plus parfaite des justifications. 5. Il ne s’agit pas d’une signature originale, mais toujours de l’écriture de Nicéphore. Ce faisant, ce dernier associait son frère à ses pensées pour le R.P. Latour. 1761 1792 Du règne de Louis XV jusqu’à la chute de la monarchie

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