Niépce correspondance et papiers
388 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS ouvertes. Je fis l’expérience d’après le procédé que tu connais, mon cher ami ; et je vis sur le papier blanc toute la partie de la voliere qui pouvait être appercue de la fenêtre, et une légère image des croisées qui se trouvaient moins eclairées que les objets extérieurs. On dis- tinguait les effets de la lumière dans la répresentation de la voliere, et jusqu’au chassis de la fenêtre 1 . Ceci n’est qu’un essai encore bien imparfait ; mais l’image des objets était extrê- mement petite. La possibilité de peindre de cette maniere, me parait à peu près démontrée ; et si je parviens a perfectionner mon procédé, je m’empresserai en t’en faisant part, de répondre au tendre intérèt que tu veux bien me témoigner. Je ne me dissimule point qu’il y a de grandes difficultés, sur tout pour fixer les couleurs ; [mais avec] du travail et beau- coup de patience on peut faire bien des choses. Ceque tu avais prévu est arrivé 2 : le fond du tableau est noir, et les objets sont blancs, c’est à dire plus clairs que le fond 3 . Je crois que cette manière de peindre n’est pas inusitée, et que j’ai vu des gravures de ce genre 4 : au reste il ne serait peut être pas impossible de changer cette disposition des couleurs 5 ; j’ai même la dessus quelques données que je suis curieux de vérifier 6 . Adieu, mon cher ami : reçois, je te prie, de la part de ma femme et de la mienne les embrassemens les plus tendres et les plus affectueux. J’aicris par ce courrier à Isidore et à ses frères. Antoine nous a fait part de son avancement 7 ; cequi nous a causé la surprise la plus agréable. Si lui et Victor ont besoin de quelques légeres // avances, tu voudras bien, mon cher ami, lorsque tu auras reçu les cent ecus 8 provisoires que nous t’adresserons dans le courant de la semaine, avoir la bonté de les leur faire ; mais avec la plus sage discretion, et pour cause 9 . Tu voudras bien egalement tenir note de ces avances ; ce n’est qu’à cette condition que nous osons te les 1. Niépce disposait sa chambre obscure non pas sur le rebord de la fenêtre mais à l’intérieur de la pièce devant la fenêtre ouverte, si bien que sur ses épreuves il enregistrait, en plus du paysage, l’image de la fenêtre ouverte (v. 252). 2. L’image négative obtenue en chambre obscure avait été prévue mais non vue par Claude, ce qui laisse pen- ser que les travaux de 1797 (v. 384) ont davantage concerné des impressions par contact d’objets que des vues en chambre. 3. Nous savons qu’au départ de l’expérience le papier est blanc : le produit photosensible est donc incolore ou blanc et sous l’action de la lumière il devient noir. Parmi tous les composés utilisés par Niépce et dont les noms seront mentionnés dans des lettres ultérieures, le chlorure d’argent (AgCl) est le seul qui possède cette propriété. 4. Les mots de Nicéphore montrent qu’il s’agit ici du premier essai en chambre obscure.Le succès de l’expérience est dû en grande partie aux dimensions extrêmement réduites de la camera obscura utilisée par Niépce ce jour-là. En effet pour un même diamètre de la lentille, plus la distance entre cette lentille et l’image (distance focale) est courte, plus les images sont petites et plus elles sont lumineuses (la lumière reste concentrée sur une petite surface). Le temps d’exposition se trouve alors raccourci dans le rapport des surfaces des images. L’utilisation du baguier permit sans aucun doute à Niépce d’obtenir un négatif dans un temps relativement court (de l’ordre de l’heure) et d’être le premier à savoir que la lumière transmise à l’intérieur d’une chambre obscure était suffisante pour engendrer des images sur une substance chimique.Bien des années plus tard,en 1835, l’Anglais Talbot réussira des négatifs sur papier en utilisant lui aussi des chambres obscures dont les dimensions seront très voisines de celles du baguier d’Isidore. Si les « souricières » de Talbot sont devenues extrêmement célèbres, le baguier de Niépce quant à lui est tombé dans l’oubli. 5. Cette phrase montre sans ambiguïté que sous la plume de Niépce, « couleurs » désignait bien les valeurs du noir au blanc du négatif et non les couleurs du sujet qu’il aurait voulu capter sur son papier sensible. 6. Nicéphore tentera effectivement une expérience d‘inversion du négatif en positif qui se soldera par un échec (v. 254). 7. Engagé dans la garde royale à son retour de captivité (v. 239), Antoine Mignon était passé caporal en 1815. En 1816, il fut promu sergent (S.H.A.T.). 8. Trois cents francs. 9. Isidore étant continuellement à court d’argent (v. 243n), il était prudent de lui laisser ignorer que Claude avait pour mission de consentir des avances à ses demi-frères. 1815 1824 1 8 De la seconde Restauration jusqu’à la naissance de la photographie
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