Niépce correspondance et papiers
404 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS empêchera toujours qu’on fasse des voyages de long cours avec les bateaux à vapeur. Je t’engage donc très fort à répéter plus en grand cette intéressante expérience ; car lorsqu’on verra qu’avec une faible consommation d’huile on obtient d’énormes bouffées de flamme, on en sera étonné et on reconnaîtra toute l’importance de notre découverte. La premiere fois que nous irons à la ville nous t’enverrons par la diligence, le soufflet carré que tu demandes, et que j’ai vu dans l’armoire de ta dernière chambre. Nous te recommandons seulement, mon cher ami, de // bien prendre tes précautions lorsque tu feras ces nouvelles expériences. Une bouffée pétrolienne d’après l’avertissement que tu veux bien me donner, pourrait d’un seul coup vous emporter les cheveux, et couper aux curieux les pans de leurs habits : or ce n’est pas là précisement ce qu’il faut demontrer. Il parait que grace à tes soins et à ta sage prévoyance, le pyréolophore commence à percer, cequi nous fait le plus grand plaisir. Nous sommes aussi on ne peut pas plus satisfaits et très reconnaissans des obli- geans procédés de M r . de La Chabaussiere envers toi, surtout à l’occasion de la démarche qu’il a bien voulu faire auprès de M r . le Marquis de Jouffroi 1 . Si l’association qui en est l’ob- jet, peut avoir lieu, je pense que ça sera une bonne affaire pour lui comme pour nous 2 ; car 1. Claude-Dorothée de Jouffroy d’Abbans (né à Roches-sur-Rognon, en Haute-Marne, le 30 septembre 1751, mort à Paris, aux Invalides, le 18 juillet 1832, victime de l’épidémie de choléra). Originaire de Catalogne, la famille de Jouffroy s’était fixée en Franche-Comté sans doute à la fin du Moyen-Age. Le cardinal Jean Jouffroy avait été ministre de Louis XI. Plus tard, sous Louis XIV, Claude-François de Jouffroy, en récompense de sa brillante conduite au siège de Lille, avait vu ses terres d’Abbans érigées en marquisat. Claude- Dorothée était le quatrième marquis d’Abbans. Dès l’âge de 13 ans, son père l’avait fait entrer parmi les pages de la dauphine Marie-Joseph de Saxe. « Pendant ces années passées à la Cour, le jeune page perfec- tionna ses connaissances scientifiques en suivant les leçons du savant Trincano, qui était le maître de mathématiques des pages de la Chambre du Roi et de ceux de la Reine. Après la mort de la dauphine, en 1767, Claude-Dorothée revint dans sa famille, où il continua à se passionner pour les techniques, instal- lant même un atelier dans l’une des tours du château d’Abbans » (E.J.A.).Lorsqu’il rencontra les frères Périer, en 1775, ceux-ci venaient de créer la pompe à feu de Chaillot. Ayant eu vent des travaux de Papin qui avait décrit un bateau recevant l’impulsion de roues mues par la vapeur, Jouffroy « ne fut pas long à penser que le nouveau moteur pouvait être appliqué à la navigation et il en émit l’idée en petit comité devant Périer lui-même [...]. Quand il s’agit de la réaliser, il se fit une scission dans l’assemblée, qui se divisa et sur le mode de mécanisme qu’il faudrait adopter, et surtout sur la base des calculs à vaincre et de la force motrice à employer. Suivant Périer, ces éléments devaient se supputer d’après l’expérience d’un bateau de halage remorqué par des chevaux ; Jouffroy sentit de prime abord et dit tout haut qu’il fallait au moins trois fois autant de puissance motrice dès que l’on prenait le point d’appui dans l’eau [...] ; le jeune gentilhomme, en présence d’une renommée industrielle semblable à celle de Périer, dut s’effacer [...]. En juillet 1776, un an avant que Périer reconnût la vanité de ses essais », Jouffroy réussissait à faire fonctionner sur le Doubs un bâtiment à vapeur (B.U.). Mais venons-en à l’événement du 15 juillet 1783. « En butte à l’hostilité de Périer », Jouffroy avait choisi Lyon pour théâtre de l’événement. Ce jour-là, Maître Baroud notaire à Lyon, constata (minute du 19 août) qu’avec “un bateau long de 130 pieds [environ 42,20 m], de 14 de largeur [environ 4,50 m], tirant 3 pieds d’eau [environ 0,97 m], ce qui suppose un poids de 327 milliers* [environ 160 tonnes], contre le cours d’eau de la Saône qui pour lors était au dessus des moyennes eaux, M. de Jouffroy remonta [...] sans le secours d’aucune force animale, et par l’effet seul de la pompe à feu, pendant un quart d’heure environ » (E.J.A.). « La première condition pour arriver à constituer une société d’actionnaires était d’obte- nir un privilège. Il en demanda un pour trente ans à M. de Calonne. Celui-ci renvoya la requête à l’Académie des Sciences, afin de savoir s’il y avait lieu d’accorder un privilège, c’est à dire s’il y avait invention. L’Académie, à laquelle d’ailleurs Jouffroy présenta en même temps un “mémoire sur les pompes à feu”, nomma commissaires pour l’examen du mémoire Borda, Bossut, Cousin et Périer ; pour l’examen du pyro- scaphe même Borda et Périer. Ainsi Jouffroy retrouvait pour juge celui que nous avons vu son antagoniste et son rival [...]. L’Académie ne voulut pas se prononcer et l’on suggéra au ministre d’écrire à l’inventeur que “l’épreuve ne remplissait pas suffisamment les conditions requises » (B.U.). Plus tard Jouffroy émigra, et ce n’est donc que sous la Restauration qu’il reprit ses travaux. 2. Pendant un an, on le verra, Claude et Nicéphore s’interrogeront sur les intentions réelles de Jouffroy à leur égard. 1815 1824 1 8 De la seconde Restauration jusqu’à la naissance de la photographie
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