Niépce correspondance et papiers

N IEPCE V La correspondance de Niépce est l’unique source par laquelle nous avons connaissance de ses travaux scientifiques. Essentiellement destinée à son frère, à l’opticien Chevalier, au graveur Lemaître et à Daguerre, elle nous permet de suivre l’évolution de ses recherches, parfois au jour le jour. Mieux qu’un cahier de labo- ratoire, ces lettres font entrer dans l’intimité de l’inventeur, au cœur de ses échecs, de ses erreurs, de ses doutes, mais aussi de ses espoirs et de ses réussites révélatrices de sa créativité et de son ingéniosité. La cor- respondance ne cache rien. Ici sont exposées les qualités mais aussi les faiblesses qui d’habitude sont gom- mées dans les récits des inventeurs. C’est à son frère que Niépce s’adresse. Il n’aurait jamais accepté que nous ayons connaissance de ses travaux par ces confidences. Mais c’est bien ce qui fait la particularité de ces lettres tant l’authenticité est ici indéniable. Pour le chercheur contemporain, la lecture des lettres de Niépce est unique car il est très rare de suivre la naissance d’une invention de l’intérieur, en parallèle avec les évène- ments qui accaparent la vie de leur auteur. C’est en 1989 que je découvris cette correspondance. Je cherchais alors à comprendre le procédé de l’in- vention de la photographie à travers les désaccords qui régnaient entre les ouvrages consacrés à Niépce. J’en vins à penser que seules des expériences visant à reproduire le procédé pourraient lever les incertitudes et à condition de ne s’appuyer exclusivement que sur les lettres de l’inventeur. Suivant scrupuleusement les indi- cations données par Niépce, je parvins à obtenir des images de type photographique attestant ainsi de l’in- vention que lui-même nomma Héliographie. Le principe était prouvé et expliqué de manière indiscutable. Pour la première fois, la précision excellente des images, la qualité du rendu des teintes étaient révélées tout comme l’extrême longueur du temps de pose, point faible du procédé. La correspondance me permit ensuite de reconstituer les différentes étapes des recherches de Niépce. La méthode expérimentale se révéla alors extrêmement riche car expériences et manuscrits se répondaient mutuellement. Certains résultats inattendus lors des reconstitutions éclairaient soudainement des passages jusque-là obscurs des lettres, déterminant alors d’autres expériences. Progressivement de nouvelles clés apparaissaient pour élucider aussi bien les textes que la démarche logique, obstinée et rigoureuse qui mena Niépce au succès. En 1827, Niépce fit la connaissance de Louis Daguerre, peintre et décorateur de théâtre, adepte de la chambre obscure qui rêvait aussi d’en capter les images. Fort de son invention, Niépce lui proposa de former une association pour perfectionner le procédé ainsi que l’optique de la chambre obscure. De cette collabora- tion qui dura de 1830 à 1833, il ne reste que les lettres de Daguerre. Autre personnage, autre exercice de déchif- frement, autres difficultés car ces lettres étaient codées. A force d’analyse, j’eus la conviction que les deux hommes avaient abandonné le bitume pour le remplacer par des résines végétales ou le résidu de la distilla- tion de l’essence de lavande. Là encore la voie expérimentale fut entièrement féconde. Après quelques mois de recherche, je pus produire des images par un procédé jusque-là inconnu dans l’histoire de la photographie: le Physautotype, ainsi que les deux associés décidèrent de le nommer. La collaboration entre les deux hommes avait donc été fructueuse. La redécouverte de ce procédé permit alors de faire le lien entre le procédé hélio- graphique au bitume de Niépce et celui du daguerréotype que Daguerre inventa après la mort de Niépce. Mes investigations dans de nombreuses archives devaient me réserver de magnifiques surprises. Par exemple, celle de découvrir un papier vernis inconnu que Niépce utilisa comme nos négatifs actuels pour en faire une reproduction sur l’une de ses plaques vernies au bitume. Ou encore celle d’accéder à un manuscrit inédit, conservé à l’Université de St Andrews en Ecosse, manuscrit qui me permit d’attribuer à Niépce l’image dite de La table servie, conservée par La Société Française de Photographie jusqu’en 1909 et perdue depuis. Son auteur y mentionne en effet des détails très caractéristiques de cette image que le fils de Niépce lui présenta comme preuve des travaux de son père, en 1839. Laissons Niépce lui-même raconter ses recherches par ses lettres. Qu’il nous soit permis de les com- menter à la lumière des résultats issus des reconstitutions expérimentales. J.L.M. Confidences d’un inventeur

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