Niépce correspondance et papiers

VIII C ORRESPONDANCE ET PAPIERS L’année 1765 Dans son Dictionnaire philosophique et portatif publié en 1764 (et augmenté par la suite), Voltaire a férocement schématisé, au mot Education ce que les philosophes reprochaient aux méthodes jésuites : « Lorsque j’entrai dans le monde, [...] je ne savais ni si François I er avait été fait prisonnier à Pavie, ni où est Pavie [...] Je ne connaissais ni les lois principales, ni les intérêts de ma patrie ; pas un mot de mathématiques, pas un mot de saine philosophie. Je ne savais que du latin et des sottises ». De son côté, Guyton de Morveau, avocat général au Parlement de Dijon, a résumé, dans un Mémoire sur l’éducation publique paru au même moment, l’opinion des parlementaires, en traitant d’« inepties puériles » leurs exercices scolastiques. Il fallait de nouveaux maîtres. Louis XV ayant consenti à ce que le collège Louis-le-Grand devienne une école de formation de professeurs, l’Université s’applique à en faire « une pépinière abondante de maîtres ». Comme Guyton, la plupart des parlementaires se défient du clergé régulier sauf des oratoriens, acquis de longue date aux idées modernes. Préférence est donnée aux laïques mais leur nombre dans les collèges réorganisés ne dépasse pas dix pour cent. Partout ou presque il a fallu faire appel aux prêtres séculiers et donc nécessairement demander aux évêques leur concours. Entre ces derniers et les Parlements, les querelles sont fréquentes. En janvier 1765, lorsque le Parlement de Paris prescrit la récitation du catéchisme, de l’épître et de l’évangile du dimanche, il est clairement établi que si d’utiles idées ont circulé, que si des efforts ont été faits, la tiédeur du gouvernement, le désintéressement de la plupart des parlementaires hos- tiles au changement, le manque d’argent, ont trompé les attentes des réformateurs. Plus heureux sont les économistes. Ils se divisent en deux écoles : celle de Gournay, pour qui l’in- dustrie, qui doit être libre, constitue l’unique source de richesse ; celle de Quesnay et des physiocrates, pour qui seule « la culture de la terre produit tout ce qu’on peut désirer ». Les sociétés sont gouver- nées par un « ordre naturel », par des lois qui « sont l’expression de la volonté de Dieu », et le bon- heur des hommes dépend de leur observation. Ils prônent le travail libre, la libre circulation des pro- duits en fonction de l’offre et de la demande, s’opposent à la réglementation des métiers. Sous l’impulsion des disciples de Gournay, farouches adversaires du colbertisme, ennemis mor- tels du privilège des manufactures royales, compagnies, foires et marchés, et partisans du fameux « laissez faire, laissez passer », l’expérience de la liberté tentée une dizaine d’années auparavant s’avère positive. Certes la condition des ouvriers, toujours prisonniers d’un corporatisme rétrograde, ne s’est pas améliorée, mais l’Etat permettant désormais aux fabricants de diversifier leur matériel et leurs pro- duits, de faire face aux différents besoins de la consommation, d’innover, de se régler sur la mode, le commerce et l’industrie français s’inspirent d’une tendance nouvelle. Bien que sévèrement attaqués et ridiculisés aussi bien par les protectionnistes que par les phi- losophes, parce que jugés obscurs, ennuyeux, impérieux, les physiocrates comptent de nombreux émules : Choiseul lui-même s’est fait agronome ; l’amour de l’agriculture est au goût du jour ; on s’in- téresse à « la campagne » ; on provoque la création de « sociétés d’agriculture » ; on encourage le des- sèchement des marais et le défrichement des terres incultes. Après l’école vétérinaire de Lyon, fon- dée trois ans plus tôt, celle d’Alfort est créée. Dans un écrit de 1765 sur le Droit naturel , Quesnay fait connaître sa philosophie : le « droit de l’homme aux choses propres à sa jouissance, indéterminé dans l’ordre de la nature tant qu’il n’est pas assuré par la possession actuelle, déterminé dans l’ordre de la justice par une possession effective [...] acquise par le travail, sans usurpation sur le droit de possession d’autrui ». L’exemple du développement considérable que connaîtra, une fois libre, le commerce des Indes orientales après la suppression de la Compagnie des Indes, donnera raison aux économistes réfor- mateurs.

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