Niépce correspondance et papiers

708 C ORRESPONDANCE ET PAPIERS résultats forts incomplets. Ce point de vue a été pris de ta chambre du côté du Gras ; et je me suis servi à cet effet de ma plus grande c. o. et de ma // plus grande pierre. L’image des objets s’y trouve représentée avec une netteté, une fidélité étonnantes, jusque dans ses moindres détails, et avec leurs nuances les plus délicates 1 . Comme cette contre-épreuve n’est presque pas colorée, on ne peut bien juger de l’effet qu’en regardant la pierre obliquement : c’est alors qu’il devient sensible à l’œil, à l’aide des ombres et des reflets de lumière ; et cet effet, je puis le dire, mon cher ami, a vraiment quelque chose de magique 2 . Il y a déjà plu- sieurs jours que mon expérience est faite : mais j’ai voulu laisser sécher la pierre avant de la passer à l’acide pour la graver ; et comme je suis bien aise que M r . Carbillet la voie aupa- ravant parcequ’il serait possible que cette opération ne réussit pas complettement ; je l’ai fait avertir, et il doit venir après-demain. Je n’ai pas lieu de craindre que cette prévenance de ma part puisse compromettre mon secret, et il n’est pas capable non plus d’en abuser : d’ailleurs, il n’y verra, comme on dit, que du feu. J’avais pris aussi deux autres points de vue du côté de la basse cour 3 ; l’un sur verre et l’autre sur pierre avec mes petites c h . o. 4 . Le premier a manqué parcequ’il s’est trouvé trop faible de ton ; le second était très bien rendu ; mais il a mal réussi parceque j’ai voulu le graver avant que la pierre fût bien sèche. C’est faute 1815 1824 1 8 De la seconde Restauration jusqu’à la naissance de la photographie 1. Après des échecs et des insuccès plus ou moins marqués,Nicéphore annonce un résultat réussi.Les phrases qui précèdent sont pour nous la véritable annonce de l’invention de la photographie qui doit être datée de ce jour. L’une des premières photographies au monde fut donc obtenue sur pierre calcaire et il s’agissait d’un point de vue du Gras pris depuis la chambre de Claude. Cette année 1824 était aussi donnée comme date de l’invention par le fils de Nicéphore (I.N. p. 17) et par les différents biographes dans les années 1850 ainsi que l’attestent Abel Niepce de Saint-Victor qui eut la chance d’assister aux expériences héliogra- phiques de Nicéphore ( Causerie des Savants, in L.P.J. 14/01/1867, p. 1, col. 4) et E. Lacan ( Les Inventeurs modernes , in M.U. 16/01/1853 ; E.LAC. p. 8). 2. Cet effet se comprend très bien au vu des images au bitume de Judée que nous avons réalisées sur pierre calcaire (J.L.M. pl. XII). Lorsque le vernis est extrêmement fin, il est à peine visible par sa faible couleur et l’image est difficile à distinguer. Elle ne devient visible qu’en faisant briller le vernis dans la lumière. Ce der- nier est en effet beaucoup plus brillant que la pierre. L’effet est d’autant plus magique que, vue de cette façon, l’image apparaît alors directement positive. C’est ici la première mention d’une image visible par des effets de reflets de lumière. Nous retrouverons cet effet quand Nicéphore l’exploitera en 1827 pour pro- duire le point de vue pris de la fenêtre conservé à Austin. Nous le retrouverons encore dans le second pro- cédé inventé par Niépce et Daguerre en 1832 : le physautotype, ainsi que dans le procédé du daguerréo- type que Daguerre inventera après la mort de Niépce. 3. Il s’agit de l’angle de vue que nous connaissons par l’image conservée à Austin au Texas. 4. Il est donc question ici de trois chambres obscures. L’une que Niépce désigne par « ma plus grande c. o. » et deux autres qu’il appelle « mes petites ch. o. ». En excluant le petit baguier, nous n’avons connaissance jus- qu’ici que de la boîte de 4 pouces (10,8 cm) de côté et de celle de 6 pouces (16,2 cm) de côté.Il semble donc que l’inventeur possède une chambre de taille encore plus grande. Il en était déjà question en mai 1823 Académie des sciences de Russie.